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UN MONDE D'AVANCE - SECTION LEON BLUM
20 septembre 2011

MARTINE AUBRY : "MON SOUCI EST QUE L'ON PARLE DE FOND"

MARTINE AUBRYMartine Aubry, comment allez-vous ? Etes-vous heureuse de faire campagne pour la primaire, de sillonner la France ?

Je suis heureuse de deux manières. D’abord, parce qu’ayant quitté la direction du Parti socialiste, je parle en mon nom propre. Cela donne parfois plus de liberté. Deuxièmement, j’ai l’impression de refaire de la politique comme je l’aime. Ce qui a été pour moi le plus dur la première année au PS, c’était l’impression que l’on n’avait plus envie de changer des choses ensemble. Là, je retrouve cette envie, pas seulement avec les hommes et les femmes qui ont accepté de s’engager dans mon équipe, mais avec les Français… C’est la politique telle que je l’aime ; cela faisait longtemps que je n’avais pas eu ce sentiment très fort… Et, très franchement, les Français ont besoin de politique aujourd’hui. Je n’aurais pas dit cela il y a un an. Mais, aujourd’hui, ils sont convaincus qu’ou bien on se laisse aller et on est foutu, ou bien il y a un renouveau, un volontarisme politique et on peut à nouveau préparer l’avenir [...].
Vous étiez, à la différence de François Hollande, à la Fête de l’Humanité hier…

J’y vais depuis quarante ans, donc le problème ne se posait pas de savoir si j’y allais cette année ou pas.

Vos relations avec Mélenchon ?

Politiques : quasiment rien parce que nous ne nous voyons plus depuis quelque temps. Personnelles : bonnes. Il a été un très bon ministre. On a des relations plutôt amicales. C’est quelqu’un que j’avais imité un jour dans un congrès. Cela ne lui avait pas plu… C’est quelqu’un d’attachant sur le plan personnel et c’est quelqu’un avec qui l’on peut discuter. Depuis trois ans, nous nous sommes croisés mais jamais rencontrés sur un vrai débat politique de fond. On va le faire. Mon souci, c’est que l’on parle du fond, non pas pour faire semblant d’être d’accord sur tout, mais pour se dire sur quoi l’on est d’accord ou pas. C’est ce que j’ai fait avec les Verts pour les régionales. Les Verts ont toujours dit, par exemple, qu’ils voulaient leur propre primaire. Ils y sont arrivés, d’ailleurs. Mélenchon, on a envoyé quelques bristols, je l’ai appelé plusieurs fois pour essayer de le voir.

Mais il ne faut pas réécrire l’histoire. Entre le Parti de gauche et le Parti communiste, il y avait des débats qui empêchaient que l’on parle avec eux ; et je le comprends très bien. J’ai eu tellement de mal à ce que l’on soit unis pendant trois ans que je comprends très bien que les autres aient pu avoir les mêmes difficultés à trouver une stratégie. Mais je pense que chacun doit prendre sa propre responsabilité dans le fait que l’on ne s’est pas retrouvés. Et, dans le fond, je ne suis pas sûre que ce soit grave.

Avez-vous un partenaire de gouvernement privilégié qui s’appelle Europe Ecologie-les Verts ?

Non. Nous sommes ouverts à toute la gauche. Après, la démocratie tranche, elle donne le poids de chacun.

A mesure que la campagne avance, avez-vous une idée plus claire du nombre de Français qui vont se déplacer pour participer à l’élection ?

Franchement, je n’en sais rien. Les sondages sur la primaire, tout le monde a dit que cela n’avait aucun sens puisqu’on ne connaît pas les gens qui iront voter… En revanche, les sondages classiques sur qui peut battre Nicolas Sarkozy donnent une tonalité, même si on a bien vu la dernière fois que cela ne suffisait pas. Aujourd’hui, nous sommes plusieurs à pouvoir battre Nicolas Sarkozy. Encore faut-il le vérifier parce qu’il faudra de la solidité, du courage et du tempérament.

Sur les pertes des banques, vous avez dit qu’elles ont gagné 25 milliards d’euros en 2010, est-ce qu’elles ont joué et puis perdu ? A votre avis, doivent-elles s’asseoir sur une partie de leurs pertes ?

Depuis 2008, rien n’a changé. Nous avons demandé - ce qui existe déjà aux Etats-Unis - une distinction des banques de dépôts et ce que l’on appelle les banques de marché, c’est-à-dire les produits financiers. Il y a eu une réaction très brutale, notamment du patron de la BNP en France, qui a été un des freins à la construction de règles prudentielles européennes, c’est-à-dire de règles qui imposent aux banques d’avoir des dépôts plus nombreux par rapport aux opérations qu’elles réalisent, et qui proposaient cette séparation des activités de dépôt et des activités financières.

C’est Michel Pébereau, le patron de la BNP, qui fait les lois en France ?

Je pense qu’il a un rôle très important… En tout cas, on n’a pas pris ces décisions, et on aurait dû le faire, tout en taxant les transactions financières, c’est-à-dire la partie qui ne va pas vers l’économie réelle et vers les usagers. Je pense d’ailleurs que si le fonds de stabilisation avait pris en compte les dettes, il y aurait eu moins de spéculation. Enfin, pendant cette période, les banques anglo-saxonnes, qui ont refait des bénéfices, en ont profité pour accroître leurs fonds propres et se recapitaliser pour être plus solides. Cela n’a pas été le cas des banques françaises. Aujourd’hui, seulement 30% de leur bilan vont vers l’économie réelle et les particuliers. 70% continuent à aller vers les opérations sur les marchés financiers. Au lieu de se recapitaliser, elles ont continué, exactement comme avant, et aujourd’hui, elles viendraient nous déclarer «Nous avons besoin d’être capitalisées…» C’est le moment de leur dire d’essayer de régler d’abord leurs problèmes. Je ne pense pas, comme Madame Lagarde, qu’elles sont dans une difficulté lourde, mais qu’elles ont les moyens de régler leurs problèmes. Qu’elles les règlent !

Etes-vous favorables aux eurobonds ?

Sur les eurobonds, Nicolas Sarkozy a menti aux Français quand il a dit, à côté de Madame Merkel, alors qu’il était d’accord quelques jours auparavant : «On nous demande d’emprunter sur le marché financier pour payer la dette à la place des Grecs.» Non, les eurobonds, c’est l’idée d’emprunter sur les marchés financiers pour aider à la prise en charge collective de cette dette tant que les pays ne peuvent pas rembourser, et de leur donner du temps pour éviter la catastrophe. Oui, je suis très favorable aux eurobonds et je regrette que Nicolas Sarkozy ait changé d’avis pour faire plaisir Madame Merkel, qui sentait que les Allemands n’en voulaient pas. En contrepartie, elle lui a fait plaisir en lui faisant croire qu’elle croyait à sa règle d’or.

La position du PS sur les retraites n’est-elle pas en train d’évoluer ?

Sur les retraites, nous avons été beaucoup caricaturés parce que personne ne sait ce qu’est l’âge réel et ce qu’est l’âge légal, et tout le monde a joué sur l’un et sur l’autre. Il se trouve que je connais bien le sujet, puisque j’avais préparé pendant un an et demi la réforme (que nous n’avons pas faite) avec Lionel Jospin. Il y a trois éléments majeurs. Oui, il faut augmenter la durée des cotisations parce que l’espérance de vie s’accroît. Que l’on ne me dise pas qu’il est possible de financer de la même manière un régime de retraite que l’on vive en moyenne 80 ans (comme c’est le cas aujourd’hui) ou que l’on vive en moyenne 66 ans (comme c’était le cas il y a vingt ans). Nous avons pris les hypothèses les plus dures de 2025 et nous avons dit : «Il faut passer aujourd’hui à 41 ans, puis à 41 ans et demi en 2025.» Deuxièmement, on ne réglera pas le problème des retraites sans des ressources nouvelles. Nous proposons de le faire de deux manières. Sur des compléments de salaire qui, aujourd’hui, ne paient pas les cotisations retraites : les stock-options et les bonus, qui représenteront 2 milliards par an ; sur la participation et l’intéressement (les syndicats nous ont donné leur accord), qui représenteront 3 milliards par an. D’autre part, il faut faire financer les retraites par les revenus du capital et par les banques ; nous avons prévu une taxation spéciale sur les banques - que l’on ne vienne pas nous raconter que cela ne va pas. Nous considérons, enfin, qu’il faut conserver la possibilité pour ceux qui le souhaitent de partir à 60 ans - c’est l’âge légal. Il y a ceux qui ont déjà leurs cotisations et, donc, la retraite à taux plein. La retraite à taux plein concerne ceux qui ont commencé à travailler tôt ou ceux à qui nous dirons, après négociation avec les syndicats, que, par exemple, leur année à la chaîne chez Moulinex compte pour 1,2 année et non pas une année, car ce sont des travaux pénibles. Trois millions de Français ont commencé à travailler tôt, trois millions pourront partir à 60 ans à taux plein alors qu’on leur demande aujourd’hui d’attendre l’âge de 62 ans.

François Hollande a déclaré qu’il fallait embaucher 60 000 enseignants supplémentaires. Pour un citoyen qui a le souci de l’éducation, la proposition est audible…

Il faut des professeurs, mais affirmer «j’en rajoute 60 000 pour avoir le vote des enseignants, et basta», ce n’est pas ma façon d’être. Avec l’ensemble des organisations syndicales, nous avons convenu de démarrer le travail au lendemain de la primaire, afin qu’une des premières lois - à l’automne 2012 - soit un plan de refondation de l’école sur cinq ans avec des moyens et des priorités. La France a dégringolé dans les classements en ce qui concerne l’entrée des élèves en sixième et le fait que les élèves sachent lire, écrire et compter ; le nombre de décrochages s’accroît, celui des jeunes qui échouent en 1er année d’université est l’un des plus grands des pays de l’OCDE ! Il faut donc revoir la formation des enseignants, changer les pédagogies et les rythmes scolaires… Il faut recentrer la mission des enseignants qui est de donner une culture commune, de donner envie d’apprendre aux élèves, d’en faire des citoyens à même de se forger des opinions. Voilà quelle est la mission des enseignants. Il faut aussi remettre les enseignants là où l’on en a le plus besoin, éventuellement prévoir 12 à 15 élèves par classe dans certains endroits, pour en mettre 30 dans d’autres.

Reviendrez-vous sur la suppression de la carte scolaire ?

Il faut changer profondément les choses pour que les classes moyennes et supérieures aient envie de revenir dans les quartiers difficiles. C’est pour moi le changement fondamental. Permettez-moi d’abord de vous dire que la réponse consiste à refonder la ville autrement. Bien sûr, cela prend du temps. Dans ma ville, nous avons commencé il y a dix ans, nous ne sommes pas encore au bout, mais les premiers résultats sont là ! Mais nous sommes pour la carte scolaire et nous allons la remettre en place.

Quelle est votre doctrine d’emploi des 100 000 gendarmes et des 100 000 policiers par rapport à ce que fait actuellement Nicolas Sarkozy ?

C’est d’abord ajouter 10 000 policiers et gendarmes puisqu’il en a supprimé 11 000 environ. Il faut aussi leur enlever un certain nombre de missions qui ne devraient pas être les leurs. Je pense au transfert des prisonniers, à la surveillance des VIP. Et remettre les policiers et les gendarmes sur la sûreté, la sécurité et la tranquillité publique. Aujourd’hui, nous n’avons plus de policiers dans les quartiers. A Lille, j’ai 6 quartiers dits en difficulté sur 10. Nous redemandons une police de quartier. La police de proximité, qui a été tant décriée, fonctionnait parce que s’était créé un nouveau rapport entre les forces de l’ordre et la population. Une des choses que je reproche le plus à Nicolas Sarkozy, en dehors du fait que, là aussi, les grandes déclarations n’ont pas été suivies d’effets - on ne peut pas dire que l’on fait de la sécurité sa priorité et supprimer 11 000 policiers et gendarmes -, c’est qu’il a maintenant mis la police et la population face à face. Je suis donc pour remettre une police de quartier.

A Paris, un tiers des deux-pièces qui sont proposés à la location sont à plus de 1 200 euros par mois. C’est 75 % du revenu médian. Les capitales régionales aussi sont concernées. Dans votre communauté urbaine, les loyers ont pas mal augmenté ces dernières années…

Ils partaient de bas, mais ils ont beaucoup augmenté. Nous avons trois propositions, une de court terme, qui est de bloquer les loyers à la première location et à la relocation dans toutes les zones tendues, donc dans toutes les grandes villes. Il est absolument essentiel de le faire. Deuxièmement, la politique de défiscalisation. Je ne parle pas des aides au premier propriétaire, mais des propriétaires qui achètent pour louer. Aujourd’hui, le budget du logement est de 33 milliards, dont 11 milliards de défiscalisation pour ces derniers. Non seulement cela accroît la spéculation, mais cela entraîne la production de logements d’une et deux-pièces, qui se relouent plus facilement, alors que ce n’est pas la demande de nos populations aujourd’hui. Donc, nous disons qu’il faut réduire de 3 à 4 milliards ces 11 milliards. Avec ces 3 à 4 milliards supplémentaires, on peut construire 150 000 logements sociaux par an. Il manque 1,5 milliard pour cela. Avec l’autre 1,5 milliard, nous pouvons aider les collectivités locales à acheter du foncier. Je veux inscrire dans la loi ce qui existe déjà à Lille et dans la métropole lilloise, que chaque projet de création de plus de 15 logements doit avoir un tiers d’accession sociale à la propriété, un tiers de social un tiers de privé. C’est une règle qui devrait s’appliquer partout. J’ajoute que l’on passe de 20 % à 25 % de logements sociaux dans la loi, avec des pénalités pas aussi ridicules qu’aujourd’hui si l’on veut que cela soit appliqué.

Craignez-vous, si vous êtes candidate, d’être en déficit de notoriété internationale par rapport à Nicolas Sarkozy ?

D’abord, je serai candidate. Deuxièmement, sur la Géorgie par exemple, le problème n’est pas réglé. Je sais bien que le Président avait tout libéré en Géorgie, comme il avait aussi annoncé il y a six mois qu’il allait supprimer les paradis fiscaux, mais c’est faux. Vous devriez aller voir où en est la Géorgie aujourd’hui… Sur la Libye, je pense avoir été la première à dire qu’il fallait demander à l’ONU d’interdire le survol des territoires pour éviter que Kadhafi tire sur le peuple. J’ai applaudi quand nous nous sommes engagés, après l’intervention de Bernard Henri Lévy - drôle de façon d’ailleurs de faire fonctionner la République, mais c’est ainsi maintenant - et j’ai aussi dit que la France avait montré son vrai visage. Cela ne fait pas totalement oublier la réception de Kadhafi à l’Elysée, mais l’intervention de la France a été positive et il faut le mettre au crédit de Nicolas Sarkozy. Mais pour moi, cela n’efface pas tout le reste, et notamment ce qui s’était dit sur la Tunisie, sur l’Egypte, quand on a essayé de faire peur aux Français en leur disant : «Attention, ils veulent se libérer, ils vont venir chez nous», ce qui était assez hallucinant. La Tunisie, c’était un cri de joie qui devait venir de la France entière. Personne n’a compris que la France n’ait pas été au premier rang et que l’on a une fois de plus essayé de faire peur. Pour le reste, la vision de Nicolas Sarkozy, y compris par les partenaires européens, c’est-à-dire des hommes et des femmes de droite au pouvoir, est qu’il joue «perso», qu’il ne dit pas la vérité et que l’on a un problème de confiance. Il y a un problème de crédibilité. Quand on représente la France, on a l’obligation d’essayer de mettre des gens autour de soi pour réussir ensemble. Autrement, on ne réussit pas. Les coups, c’est bien, convaincre les autres et porter une politique pour une autre Europe et aussi pour porter un autre message dans les instances internationales, cela n’a pas du tout été fait.

Source : Libération en date du mardi 20 septembre 2011


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